Avant que je sois né
Avant que je sois né cette sente odorante
Recevait déjà l’ombre aimable de ces ifs,
L’esprit régnait serein sur les fleurs d’amarantes
Cachant presque l’entrée du jardin aux massifs...
Des enfants y ont ri, jouant à cache-cache
Ont grandi, sont partis oubliant leurs secrets
Puis revenus bien vieux revoir sans qu’on le sache
L’endroit des temps heureux qu’à mon tour j’aimerais !
Maintenant c’est moi seul qui entends les murmures
Accompagnés de chants d’oiseaux ensorceleurs :
Deviendrai-je bientôt cette ombre de lémure
Que d’autres verront quand ce lieu sera le leur ?
Langages des pendules
Quand j’entends le tic-tac des pendules anciennes
Il me souvient du temps où le temps semblait long.
Je revois les matins qui filtraient aux persiennes
Au chant joyeux d’un coq plus doux que cent violons.
Et mon cœur s’amusait en ce rythme à jouer
Comme il bat aujourd’hui quand seulement je dors ;
Je sortais dans le jour sans peur de m’échouer
Sur les écueils muets d’une mer qui se tord.
Quand j’entends le tic-tac des pendules anciennes
Puis que résonne enfin leur timbre vibratoire,
Tel un corps a ses joies, tels mon sang a les siennes
Qui le font s’ébrouer comme au fil d’une histoire.
Et je ferme les yeux pour mieux voir le silence
Au parfum des absents, quand tout revit en moi.
Le tic-tac des pendules, dans sa nonchalance,
Ne garde, sans regret, que le plus pur émoi.
L'enfant perdu
Un enfant pour la vie
Un enfant si fragile,
Un être délicat
Qui ne sait où pleurer…
Un enfant plein d’envie
De connaître la ville
Où ses pairs sans fracas
Sont venus s’installer…
Solitaire égaré
Sur un trottoir mouillé
Où le monde des grands
N’avait rien fait pour lui…
Qui donc aura pitié,
Mieux qu’un chat, mieux qu’un chien,
De cette âme qui pleure
Aux murs glacés du jour ?
On l’a vu presque nu
Errer près d’un jardin
Où les murs élevés
Lui cachaient le verger…
Une fleur, on l’a vu
Ramasser d’un gradin,
Puis la lancer au vent,
Puis rire sans manger.
Il a dormi le soir
Au square sur un banc,
Sa tête dans ses bras,
Son corps abandonné…
Il ouvrit au matin
Ses paupières de grâce
Et l’on vit l’espoir neuf
En son regard vermeil
Qui couvrait d’un sourire
Les lumières du monde :
Sa main dans les cheveux
Demandait à y croire.
Le grand destin
Ami, la liberté vaut mieux qu’une amourette.
Regarde cette mer sauvage, hardie et fière !
Regarde cette étoile filant dans le ciel :
Elles n’ont point d’attache et touchent l’infini.
Observe la montagne au sommet dans les nues,
Plonge-toi dans ce lac aux profondeurs secrètes,
Ecoute la nature en éveil dans les bois
Et dans les plaines sens les parfums de la flore.
La lumière divine est un cadeau pour toi ;
Mon ami, sache vivre en accord avec l’heure,
Lutte ! Ecarte de toi la gêne et la tristesse…
Profite sans périr des bonheurs passagers.
Ne gâche point ta vie par de fatals regrets.
Méprise le chagrin : Le véritable amour
Fait vivre et non mourir. Perds et regagne ailleurs.
Noie en pleurs ton chagrin, enivre-toi du monde.
Si l’on aime, sois gai ; sinon chante en toi-même.
Si les hommes sont ternes ou méchants ou bêtes,
Reste seul si tu dois, résiste comme un roc
Et renais au printemps plus fort grâce aux hivers.
Ami, la liberté vaut mieux qu’une amourette.
Regarde ce grand chêne au milieu du bosquet,
Qui affronte les vents sans plier de la tête :
Il trempe dans le sol et nage au firmament.
Ami, pars et découvre, ici comme là-bas,
En toi comme au dehors, partout comme au-delà,
Tout ce qui vaut de vivre et toujours fait renaître.
L’avenir t’appartient. Sache par où le prendre !
Réalités antiques
Les antiques cités ressurgies de la terre
Après des millénaires d’inertie cachée
Répondent à l’écho des voix sans caractère
Perdues en le désert de nos villes gâchées.
Labyrinthe émondé, nourri de l’air des temps,
Ces vestiges de murs aux langages secrets
Résonnent vaillamment de leurs cris percutants,
Niant l’ombre des pleurs sur les corps massacrés.
Voyageur égaré, perçois parmi les ondes
Le message d’amour qu’ici d’autres jadis
Ont planté comme on crée les racines du monde
Et transmets à ton tour l’art de vivre à tes fils !
Les couleurs
Je voudrais, enfants, vous apprendre les couleurs
Pour que vous puissiez voir le monde le monde plus joli.
Le bleu ? Le rouge ? – Oui ! Et puis le jaune aussi.
Mélangez-les, regardez-les… Toutes ces fleurs !
Je voudrais, enfants, qu’hormis le blanc et le noir
Vous distinguiez le clair de l’obscur, les valeurs,
Les teintes du matin et les ombres du soir,
La clarté d’une source et ses mille lueurs.
Voyez à l’horizon de ces flots l’outremer,
Les touches carminées au col de cet oiseau,
La blancheur éclatante du frêle steamer
Et la danse des ocres au lac des roseaux.
Voyez, enfants, comment le rouge vermillon
Se mêle au brun de Sienne en la flamme follette,
Voyez, enfants, dans les ailes des papillons
Combien la nature a dévoilé sa palette.
Sachez enfin vous-mêmes créer la beauté,
Filtrez en votre esprit vos regards sur le monde,
Aimez-le triste ou gai, puis avec loyauté
Refaites ses décors de votre âme féconde.
Le vaisseau englouti
Au fond des eaux l’épave dort
Comme un géant, monstre aquatique
Dissimulé dans un triangle
Enigmatique.
Il occupe le corridor
D’un vaste monde hiératique
Dont le silence vous étrangle,
Fantomatique.
Le rêve des Conquistadors
Perdus au cœur de l’Atlantique
Reste figé dans une sangle
D’eau magnétique.
C’était un vaisseau bourré d’or
De retour des lointains tropiques.
Il rend de toutes ses varangues
L’algue élastique.
Au fond des eaux, paralytique,
Un monstre dort dans l’Atlantique.
Le peintre
Sur la plage, discret, croquant sur son trépied
Les remous d’une vague et les rais du soleil,
Il stoppe le vent tiède, la mouette en éveil
Et la course effrénée des fiers et blancs voiliers.
Le pinceau s’agitant, projetant maintes taches
Sur la toile innocente qu’il veut enivrer,
Le peintre voue son âme au décor sans relâche,
Volant quelques instants au temps à délivrer.
Sans arme, grand guetteur, à la proue de son rêve,
Dressant son chevalet comme un viseur de cour,
Il choisit les cartouches aux couleurs de trêve
Et soigne sa palette aux remèdes d’amour.
Quand, une œuvre achevée, il sonne la retraite,
Rangeant son matériel et libérant sa tête,
Comparant d’un coup d’œil, absorbé comme sourd,
C’est l’image accomplie qui lui parle à son tour.
L'arbre abattu
Mes traits de crayon sont tombés au sol.
Du fidèle ami, guetteur des vallées,
Perchoir de la buse, élançoir du col,
Ne reste qu’un mort aux mains décalées.
Je te cherchais de loin de mon regard vieilli,
Toi qui toujours avais semblé me faire signe,
J’affrontais le chemin gagné par les taillis,
Comprenant peu à peu cette évidence indigne :
Toi l’arbre d’amour maintes fois croqué,
Œil panoramique, héros des paysages,
Tu fus renversé, foulé, disloqué…
Tu gis en morceaux brouillant ton image.
Quand je ne vis de toi qu’un socle abandonné,
Duquel soudain s’enfuit une ombre de reptile,
Mes yeux te dessinèrent, vainqueur des genêts,
En éternel martyr d’un massacre inutile.
Venezia
Comme un songe épargné des nuits d’un ancien monde
Venise – ô vrai miracle ! – aux luxes dégâtis
Se sauve en ses canaux qu’en reflets elle inonde,
Pour voir de sa beauté les éclats rebâtis.
Du miroir de la belle enfoui sous les ponts
Au ciel chargé des feux d’une rampe éternelle
Une âme cabotine aux parfums de jupons
Se promène et festoie, aux voix en ritournelle.
De l’ombre du mystère à l’angle des ruelles,
Surgissent les esprits masqués aux mille farces.
Des yeux disent l’amour en des flammes cruelles ;
Polichinelle crie, et sourient ses comparses…
Là-haut de son balcon une marquise jette
Un foulard de soie blanche au domino qui guette
Tandis qu’applaudissant, les cloches sonnant l’heure,
Des pigeons fuient un dôme et les toits des demeures.
Ils vont s’éparpillant vers autant de gondoles
Accostées ou glissant le long du Grand Canal,
D’où résonnent en chœur de chaudes barcarolles
Donnant à la lagune un faux air de final.
Très loin par d’autres rythmes, d’autres carnavals
Au bord d’océans clairs, d’une humeur juvénile,
Créant de vrais décors pour de gais festivals,
Répondent à Venise, à ses fiers campaniles.
Mais de celle qui nage en son eau tourmentée
Nul ne saurait vouloir éponger la splendeur.
Ici règne l’amour en son image hantée :
Le salut de Venise attend ses défendeurs !
La haie
De père en fils des paysans
Y ont œuvré durant des lustres,
Creusant, plantant et palissant,
Taillant, fauchant de leurs mains rustres
Pourtant belles : Ces mains calleuses
Avaient tressé les aubépines,
Noué leurs tiges cavaleuses,
Abris d’oiseaux et de lapines.
Aux noisetiers nombre de frênes,
D’ormes et de pommiers sauvages
Se sont adjoints, et même un chêne
Devint de la haie le vieux sage.
Combien d’hommes l’ont émondée
Depuis trente générations ?
La haie repart d’une coudée
Entre Pâques et l’Ascension.
Elle a fourni les villageois
Et leurs bêtes en nourriture
- baies et gibier -, en fleurs, en bois,
En tous remèdes qu’ils voulurent...
La haie rayonne de beauté
Freinant les vents tout en souplesse,
Cachant sans fin de nouveautés
La modestie de sa noblesse.
La haie pleureuse des fossés
S’abreuve aux sources débordantes…
(C’est que les rus sont exhaussés
De couler sous leur confidente !)
Au promeneur qu’elle accompagne
Elle lui dit son amitié,
Voudrait qu’il aime la campagne
Et prenne goût à ce sentier…
Aussi, redoublant de murmures,
De sifflements et de parfums,
La haie de ses frêles ramures
Lui montre mille séraphins…
L’homme y respire l’innocence,
Le renouveau perpétuel
De celle qui jamais n’offense :
Nature amie ! Songe réel !
La haie protège par son ombre
Contre l’ardeur du soleil roi
La sieste dans laquelle sombre
L’homme l’été sans avoir froid.
S’embrasent bientôt les toisons ;
L’automne rit dans les charmilles.
Les feuilles dansent. La saison
Rougeoie, caresse et déshabille…
Elle, la vraie, la variée,
La haie rivale des hauts murs,
Se fait chantante mariée
Aux jours de noces, des fruits mûrs.
Alors, dans ses mille salons
S’invitent pinsons et fauvettes,
Tous caqueteurs, tous violons
Et toutes races de la fête.
Le jour s’amuse et virevolte…
Le soir tombe en un lourd sommeil.
Des yeux s’ouvrent sur les récoltes :
Se tient en secret un conseil !
Sous les étoiles innombrables
Brillent les regards scrutateurs
De deux chouettes sur l’érable
Guettant rongeurs et prédateurs.
Le campagnol pris à revers
File droit vers la haie refuge.
Hospitalière aussi l’hiver,
Elle recueille les transfuges.
Par temps de neige ses longs bras
Dans l’harmonie du paysage
Guident plus qu’ils ne sont claustras :
La haie nous montre les passages… .
Quand rejaillissent les couleurs
Dans le damier des grands espaces,
Sous les châtaigniers enchanteurs
De jeunes amoureux s’enlacent.
Le doux printemps bénit la haie
De claires pluies en frais baisers…
Le muguet court sous la tremblaie,
Les rosiers grimpent en excès.
Voyez-la qui monte à nouveau !
Elaguez peu ses branches fières,
Ne nettoyez que ce qu’il faut :
Ronces méchantes et vieux lierre !
Là-haut des couronnes de hêtres
Etalent grâce et majesté.
Les peupliers venant de naître
Frayent bientôt sans contester.
Des hirondelles bâtisseuses
Vont et reviennent en piqué.
Infatigables, ces danseuses
Trompent les espions embusqués.
Quand un rossignol interprète
Le chant d’une aube aux accents clairs,
Quelques mésanges guillerettes
Semblent amorcer un concert…
Passent des papillons follets
Sous un sorbier de sérénade,
Jaillit d’un creux alvéolé
Un pic austère fuyant l’aubade.
Tous les insectes de la terre
Ont fait escale dans la haie…
D’instinct grégaire ou solitaire,
Rampant, volant sous la saulaie,
Des origines, du mystère
Ils sont témoins (Il les fallait…).
Dieu, que ton esprit planétaire
Toujours habite la boulaie !
Pour toi, tes filles et tes fils,
Où que tu sois, d’où que tu viennes…
Homme ! Protège l’oasis
Au cœur des villes, dans les plaines…
L’oasis vert des arbres libres !
Ils t’ont donné plus que tu penses,
Ces marronniers de l’équilibre…
Et ces tilleuls sans éloquence !
Préhistorique
L’on n’imagine pas dans les temps fort anciens
Combien l’homme souffrit de sa vide écuelle.
Il devait livrer seul une lutte cruelle
Pour survivre lui-même et protéger les siens.
Combien l’homme souffrit de sa vide écuelle
Dans sa grotte l’hiver quand il ne restait rien !
Pour survivre lui-même et protéger les siens
Il devait dominer sa peur continuelle.
Dans sa grotte l’hiver quand il ne restait rien
Sa femme près du feu, gardienne éventuelle,
Attendait son retour de chasse ponctuelle
Craignant toujours le pire, ô triste quotidien !
C’est elle en attendant, bonne et spirituelle,
Qui permit à l’homme de croire en un soutien :
Il osa progresser vers d’infinis moyens,
Dont nous sommes issus à l’époque actuelle.
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